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Bien qu’il soit difficile d’obtenir les chiffres exacts, le nombre des victimes de cette seule bataille de la Somme est estimé à près d’un demi-million de morts et autant de blessés. C’est avec le sang de ces millions de victimes de la Grande Guerre (et des suivantes) qu’on a dessiné – à la hache et au burin – la carte incertaine du monde contem­porain. De ce seul point de vue – et nous en considére­rons plusieurs autres – il n’est pas exagéré d’affirmer que la guerre mondiale déclenchée durant l’été 1914 n’a tou­jours pas pris fin.

Les luttes sans merci que se livrent les superpuissances pour la domination du monde depuis cette époque ont certes connu des armistices officiels, des trêves et des cessez-le-feu, parfois sur d’assez longues pé­riodes, mais jamais de paix véritable et durable.

En voici quelques preuves.

6 août 1945, 8 h 16, un matin calme et tranquille. La journée s’annonce caniculaire à Hiroshima. Soudain le ciel est dé­chiré par un flash plus lumineux que « dix mille soleils ». Le bombardier B-29 baptisé Enola Gay, du nom de la mère de son pilote, a largué une bombe atomique à l'ura­nium 235 d'une puissance de 15 kilotonnes surnommée ‘Little Boy’.

L'équipage qui transporte ce « Petit Garçon » diabolique est composé de douze hommes, dont quatre scientifiques. La bombe, recouverte de signatures et d'injures à l'adresse des Japonais, explose à 600 mètres du sol, à la verticale de l’hôpital Shima, au cœur de l'agglomération.

Une gigantesque boule de feu dont la température atteint un million de degrés à son épicentre incinère littéralement les 500 premiers mètres. L’onde de choc engendre un ou­ragan artificiel d’une vitesse de 600 kilomètres à l’heure. Aucun être vivant, aucun bâtiment n'y résistent.

L'explosion rase instantanément la ville : 75 000 personnes sont tuées sur le coup. Sur les 90 000 bâtiments de la ville, 62 000 sont totalement détruits.

Dans les semaines qui suivent, plus de 70 000 personnes supplémentaires meurent, dont près de la moitié des effets de la radioacti­vité. Des dizaines de milliers d’autres en mourront dans les décennies suivantes.

Le nombre total de morts est de l'ordre de 300 000, aux­quels il faut ajouter les près de 100 000 morts de Nagasa­ki, où la bombe (au plutonium) n’a pas «parfaitement fonctionné».

Les États-Unis ont toujours soutenu que l’annihilation des deux villes japonaises a permis de sauver des centaines de milliers de vies américaines, mais le Japon était exsangue et le véritable objectif des bombardements était à l’évi­dence une démonstration de puissance face à l’URSS. Dès 1965, l’historien Gal Alperowitz affirme que si les deux bombes avaient certes provoqué la fin de la Seconde Guerre mondiale (ou peut-être seulement coïncidé avec celle-ci, selon d’autres), les dirigeants japonais auraient de toute façon fini par capituler et l’auraient probablement fait avant la date de l’invasion prévue par les États-Unis, le 1er novembre 1945.

L’entrée en guerre de l’Union soviétique contre le Japon (auparavant liée à ce dernier par un pacte de neutralité) lors de l’invasion de la Mandchourie, le 8 août 1945, a sans doute été la véritable cause de la capitulation du Ja­pon, désormais pris entre les feux des deux superpuis­sances. C’est donc bien cette lutte pour l’hégémonie du monde – et rien d’autre – qui fut la véritable cause d’Hiroshima, de Nagasaki et des centaines de millions de victimes4 de guerres de ce siècle barbare…

Ainsi, les 13, 14 et 15 février de l’année 1945 furent tout aussi tragiques pour la ville allemande de Dresde, où trois jours de bombardements alliés (3900 tonnes de bombes larguées) firent autant de dégâts qu’à Hiroshima ou Naga­saki, coûtant la vie à des dizaines de milliers de personnes. Il est probable que par ce bombardement tardif – large­ment déconnecté des nécessités militaires – les États-Unis et le Royaume-Uni aient voulu impressionner l'URSS, quelques jours après la clôture de la conférence de Yalta et dans le contexte naissant de la guerre froide5. Encore une fois, le bras de fer engagé par la double puissance dominante avec son rival oriental (l’URSS, au-delà de l’Allemagne nazie moribonde) s’est soldé par un acte de terrorisme de grande ampleur.

La litanie des massacres et des génocides perpétrés par les grandes puissances, leurs alliés, leurs ennemis, leurs vas­saux ou leurs marionnettes est sans fin. Dans le monde entier, partout, en tous lieux et à tout moment du siècle, on ne cesse d’entendre des appels pressants à la coopéra­tion internationale et à la paix, mais, selon un ancien haut fonctionnaire américain, « les facteurs qui contribuent à l’insta­bilité internationale sont, pour la première fois dans l’histoire, en train de prendre le dessus sur les forces qui œuvrent à une coopéra­tion plus organisée. Toute analyse objective des perspectives mon­diales aboutit inévitablement à cette conclusion : les troubles sociaux, l’agitation politique, la crise économique et les désaccords internatio­naux vont vraisemblablement s’étendre de plus en plus au cours de cette fin de siècle. En un mot, l’humanité est menacée par (…) l’anarchie universelle. »

À l’heure actuelle, par exemple, chaque sous-marin nu­cléaire français lanceur d’engins porte 16 missiles balis­tiques emportant chacun 6 têtes thermonucléaires indé­pendantes, de chacune 150 kilotonnes (10 fois Hiroshi­ma), soit 16 x 6 x 10 = environ 1000 fois la puissance de feu de la bombe d’Hiroshima. Il en existe encore assez d’engins de ce type dans le monde pour tuer plusieurs fois tous les habitants de la terre, sans parler des bombes nucléaires aéroportées qui sillonnent en permanence tous les cieux de notre planète.

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que le sigle dési­gnant l’arsenal de dissuasion nucléaire américain soit un acronyme signifiant « fou » : en anglais, « MAD », pour Mutual Assured Destruction (Destruction Mutuelle Assurée).

Cette folie sanglante des hommes a une cause, un chef, des protagonistes et une histoire, écrite dans ses grandes lignes depuis des millénaires. L’histoire récente et l’actuali­té immédiate corroborent les prophéties divine­ment inspi­rées : elles nous fournissent abondamment les détails et les arguments de cette histoire démente, que nous développe­rons dans les prochains chapitres. En voici d’ores et déjà les axes essentiels.

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